Une atteinte cutan o-muqueuse

un homme de 27 ans, originaire d’Afrique du Nord, est admis au service des urgences pour une stomatite étendue accompagnée d’une conjonctivite, de lésions génitales et d’une rhabdomyolyse majeure. À l’anamnèse, on note que ce patient a été placé, quelques jours avant l’hospitalisation, sous antibiotiques, Céfadroxil , et spray buccal désinfectant, pour une angine. Les antécédents médicaux du patient sont sans particularité. Il signale cependant un épisode de stomte modérée il y a un an.

L’examen clinique décrit la présence d’une stomatite touchant l’ensemble de la cavité buccale avec des érosions recouvertes de membranes blanc-jaunâtres au niveau lingual et jugal principalement, des croûtes sur les lèvres, des lésions maculopapuleuses et bulleuses au niveau du dos, de l’abdomen, des jambes et de la verge. Les lésions cutanées se présentent sous la forme de maculo-papules avec centre vésiculeux sur une couronne érythémateuse périphérique. Une conjonctivite bilatérale est observée. Le patient est légèrement fébrile. Le reste de l’examen est par ailleurs normal, le patient ne signalant aucune douleur musculaire.

La biologie montre une perturbation des tests hépatiques (augmentation des SGOT et des SGPT) et une très importante augmentation de la créatine-kinase (> 300 000 u.i.), qui traduit une rhabdomyolyse sévère (myosite) (fig. 1 à 4).


Quel est votre diagnostic ?

Réponse

Il s’agit d’un érythème polymorphe à localisation cutanéomuqueuse, associé à une conjonctivite et une myosite majeure.

L’érythème polymorphe buccal (EPB) est une maladie bulleuse aiguë, qui comprend 3 entités cliniques différentes : l’érythème polymorphe (EP), l’érythème pigmenté fixe (EPF) et le syndrome de Stevens Johnson (SSJ) [1, 2].

C’est l’aspect clinique différent des lésions cutanées dans ces 3 affections qui permet de les distinguer, les lésions buccales étant quant à elles semblables.

L’EP est rapporté dans le monde entier, sans prédilection ethnique. Il survient à tout âge mais plus fréquemment chez l’adulte jeune entre 20 et 30 ans. L’homme et la femme sont indifféremment atteints. La phase prodromique est faite de signes cliniques généraux tels que pyrexie, myalgies, arthralgies ou atteintes diverses de la sphère ORL. Elle est suivie d’une éruption cutanéo-muqueuse dont l’importance et la localisation sont très variables. L’atteinte cutanée, habituelle dans l’EP, est caractérisée par une lésion typique, dite en « cocarde », qui permet habituellement de poser le diagnostic. Il s’agit d’une lésion bulleuse ou nécrotique évoluant sur une couronne périphérique érythémateuse (papule ou macule).

La localisation des lésions cutanées comprend classiquement les extrémités des membres et le visage, le tronc étant le plus souvent respecté. L’atteinte buccale est caractérisée par des érosions profuses qui prennent sur le versant cutané des lèvres un aspect croûteux caractéristique. La muqueuse buccale présente, au niveau des joues, de la langue et du palais de larges érosions polycycliques rapidement recouvertes d’un enduit blanc-jaunâtre de type fibrino-leucocytaire. Lorsque les muqueuses génitales sont touchées, l’atteinte est semblable à celle des muqueuses buccales. Une conjonctivite congestive bilatérale avec hémorragie sous conjonctivale est souvent associée aux lésions précédemment décrites. Les lésions oculaires peuvent s’accompagner de graves complications telles que des ulcérations cornéennes, une iridocyclite voire de panophtalmie [3].

L’examen histologique montre la présence d’un décollement intra- ou sous-épidermique. Il existe un oedème du derme ainsi qu’un infiltrat mononucléé, et on retrouve de nombreux kératinocytes nécrobiotiques dans les couches les moins différenciées de l’épiderme. L’immunofluorescence directe est négative.

L’étiologie la plus fréquemment décrite est virale et l’agent retrouvé est principalement le virus de l’Herpes Simplex (HSV1-HSV2) [4]. Ce virus est responsable de près de 50 % des EP mineurs, qui sont volontiers récidivants. Cinq jours séparent en moyenne la récurrence herpétique de la poussée d’EP.

Le second virus incriminé dans l’EP est le Mycoplasme Pneumoniae. Il s’agit alors le plus souvent d’une forme majeure d’EP survenant chez l’enfant dans le décours d’une pneumonie à Mycoplasme. De nombreux autres agents infectieux peuvent être responsables d’EP, parmi lesquels les plus fréquents sont : les streptocoques, chlamydia, salmonelles, histoplasme ou dermatophytes. Certains médicaments peuvent également être à l’origine d’EP. Il s’agit principalement de sulfamides, anti-inflammatoires (pyrazolé), anticonvulsivants (phénobarbital, hydantoïnes, carbamazépine…), tétracyclines et acide acéthylsalicylique. Enfin notons que des affections comme les lymphomes, le lupus érythémateux, la maladie de Crohn ou certaines néoplasies sont parfois responsables d’EP.

Du point de vue thérapeutique, il faut procéder à l’arrêt de la prise de l’agent causal s’il est identifié et à la prise en charge de la cause éventuelle si elle est reconnue. Les traitements locaux à base de bain de bouche antiseptique peuvent améliorer l’évolution des lésions [1]. Pour atténuer les douleurs souvent importantes, l’usage d’anesthésiques locaux type xylocaïne est recommandé. La prescription d’opiacés est parfois nécessaire.

L’administration de corticoïdes par voie générale (prednisone 0,5 mg/kg/jour) qui améliore le confort du patient, est préconisée dans les formes sévères.

Notre patient a bénéficié d’une mise au point complète qui n’a pas permis d’identifier d’agent infectieux causal. Un prélèvement a été réalisé au niveau d’une lésion de la face antérieure de la cuisse et l’examen anatomo-pathologique a confirmé le diagnostic d’érythème polymorphe (décollement dermo-épidermique, kératinocytes nécrobiotiques intra-épidermiques, infiltrat dermique mononuclées…). L’immunofluorescence directe était négative. Un traitement local a été instauré, à base de bain de bouche de bicarbonate (80 mg), borate (40 mg) et salycilate (20 mg), combinés à l’application de KMNO4 sur les lésions cutanées et de vaseline sur les lèvres. Par voie générale le patient a bénéficié d’un traitement constitué de corticoïdes (Methylprednisolone, Medrol 64 mg/jour puis doses dégressives) et d’antibiotiques (Lévofloxacine,Tavanic 500 mg 2x/jour), par crainte de surinfection. Une évolution favorable a rapidement été observée avec une amélioration clinique et une normalisation des tests sanguins.

La rhabdomyolyse majeure observée chez notre patient et qui a progressivement régressé était probablement d’origine virale.
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