Observation du cas la muqueuse buccale

Une femme âgée de 68 ans était suivie en stomatologie depuis plus de 35 ans pour lésions gingivales chroniques. 

Plusieurs extractions dentaires avaient été alors pratiquées.

L’anamnèse retrouvait la notion de lésions gingivales blanchâtres
lentement extensives, occasionnant une gêne à l’alimentation, pour lesquelles elle avait rec¸u des traitements symptomatiques sans aucune amélioration.

La patiente ne présentait pas d’antécédents pathologiques notables, en particulier il n’y avait pas de notion de tabagisme.

L’examen de la cavité buccale relevait des lésions blanchâtres verruqueuses, confluant en plaques à bords irréguliers, atteignant de fac¸on diffuse la région antérieure de la gencive inférieure et la face interne de la lèvre inférieure jusqu’aux prémolaires (Fig. 1). Il n’y avait pas d’infiltration.

La langue et le palais étaient indemnes de toute lésion.
Le reste de l’examen cutanéo-muqueux était
 normal, en particulier il n’y avait pas d’adénopathies cervicales.

 
Figure 1.

Quelles sont vos hypothèses diagnostiques?

Hypothèses du comité de rédaction
Les hypothèses du comité de rédaction ont été :
• un hamartome spongieux muqueux (white sponge naevus)
• une leucokératose acquise traumatique ;
• un lichen plan.

Commentaires

Notre patiente présente des lésions buccales chroniques, résistantes à tous les traitements proposés. 

L’examen retrouvait des plaques blanches à surface irrégulière de la muqueuse gingivale et du versant muqueux de la lèvre inférieure.

Devant ce tableau clinique, les principaux diagnostics à évoquer sont les leucokératoses acquises, comme les candidoses, le lichen plan et les leucoplasies. Mais il n’y avait dans
cette observation aucun argument clinique ou paraclinique permettant de retenir ces hypothèses.

L’interrogatoire ne retrouvait pas de notion de tabagisme ou de déficit immunitaire acquis ou congénital et la patiente rapportait l’échec de multiples traitements antifongiques locaux et systémiques correctement conduits.

Par ailleurs, le grattage avec l’abaisse langue permettait de détacher difficilement des grands lambeaux laissant apparaître une muqueuse saine non érosive, pouvant éliminer une lésion pseudomembraneuse (celle-ci se détache facilement et laisse découvrir une érosion) et une leucokératose (qui ne disparaît pas au grattage). L’examen clinique ne retrouvait
pas d’autres lésions cutanéomuqueuses.

Les prélèvements mycologiques étaient négatifs.

Bien qu’il s’agisse d’une patiente de 68 ans, on peut également évoquer devant ce tableau les dyskératoses congénitales et le diagnostic d’hamartome muqueux spongieux (white sponge naevus) a été retenu, devant l’aspect histologique, montrant une muqueuse buccale revêtue par un épithélium malpighien acanthosique, papillomateux, hyperkératosique avec des images de dyskératose monocellulaire.

Les cellules du corps muqueux étaient clarifiéespar un oedème marqué intra- et intercellulaire (Fig. 2).

L’immunofluorescence directe était négative.

La patiente a été traitée par cyclines par voie orale avec
une évolution partiellement favorable au bout de six mois de traitement (Fig. 3).

Le white sponge naevus est une dyskératose congénitale bénigne rare, autosomique dominante à pénétrance et expressivité variable [1]. Il n’y a pas de prédilection
de sexe ni d’ethnie.

Elle est causée par les mutations des gènes exprimant les kératines suprabasales K4 et K13 [2—4]. Quelques cas sporadiques ont été décrits, comme c’est le cas de notre patiente qui ne rapportait pas de cas familiaux. Aucun facteur étiologique n’est retrouvé dans ce tableau (ni traumatique, ni tabagique, ni infectieux). Les poussées pourraient être déclenchées par la surinfection bactérienne

[5].
La lésion apparaît dès la naissance ou la première enfance et augmente progressivement de taille jusqu’à l’adolescence. Notre patiente rapporte une évolution lente, depuis l’âge de 38 ans. Un début plus précoce est probable mais méconnu par la patiente.

L’atteinte est souvent diffuse avec des plaques blanches, à surface irrégulière, de consistance molle [1]. 

L’épaisseur et la taille des plaques sont variables d’un sujet à l’autre et peuvent varier dans le temps chez le même individu. Elles siègent de préférence sur les muqueuses jugales, la langue,
les vestibules, le palais et le plancher buccal. 
Les autres muqueuses (nasale, anale et vaginale) peuvent être affectée s [1,6]. Il n’y a pas d’atteinte cutanée [1,7].

L’histologie reste un élément clé du diagnostic [7,8]. Elle montre un épaississement de l’épithélium, une spongiose du stratum spinosum, un défaut de kératinisation en surface et
une parakératose dans les couches les plus profondes.

La microscopie électronique est contributive dans les cas douteux, montrant une répartition inégale des tonofilaments dans le cytoplasme des kératinocytes [1,7].

Les autres dyskératoses congénitales comme la pachyonychie congénitale (syndrome de Jadassohn- Lewandowski), la dyskératose congénitale (syndrome de Zinsser-Cole-Engman), la maladie de Darier peuvent poser un problème de diagnostic différentiel [8].

Figure 3
.

 Figure 2. Épithelium acanthosique, papillomateux, avec dyskératose.

L’évolution est chronique sans transformation en carcinome. Aucun traitement n’est habituellement indiqué, mais devant le caractère malodorant et l’augmentation de l’épaisseur de certaines plaques, divers traitements ont été proposés avec un effet suspensif.

Les tétracyclines en bains de bouche [9,10] ou par voie générale [9] ont prouvé leur
efficacité dans quelques cas au moment des poussés comme chez notre patiente.
Devant une lésion blanche de la cavité buccale, l’examen histologique reste un moyen capital pour éliminer une lésion précancéreuse et poser le diagnostic positif.
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