Stratégie thérapeutique 1- Traitements chirurgicaux

Les progrès de la chirurgie ont été réalisés dans 4 grandes directions : l’exérèse de la tumeur primitive, les évidements ganglionnaires cervicaux, la réparation de la perte de substance
chirurgicale et la prise en charge du handicap pour les chirurgies mutilantes (laryngectomisés).
En ce qui concerne les voies d’abord chirurgicales, les techniques les moins mutilantes sont utilisées, en favorisant les voies camouflées comme le respect labial inférieur par la technique
du degloving pour les tumeurs buccopharyngées postérieures (buccopharyngectomies transmandibulaires conservatrices)
[4] ou bien encore l’usage de voies combinées endorales et cervicales pour le pharynx, qui préservent la mandibule. C’est aussi la voie vestibulaire supérieure endobuccale pour les cavités nasosinusiennes.
L’exérèse de la tumeur représente la limitation des indications de chirurgie mutilante du larynx (laryngectomie totale, pharyngolaryngectomie totale) avec trachéostomie définitive aux lésions évoluées T4 transglottiques ou en rattrapage postradique. Les laryngectomies partielles et reconstructrices sont le développement des techniques de conservation fonctionnelle laryngée  elles s’adressent aux lésions limitées du pharyngolarynx comme les laryngectomies ou pharyngolaryngectomies supraglottiques, les hémipharyngolaryngectomies supraglottiques ou supracricoïdiennes, la cricohyoïdoépiglottopexie (CHEP), la cricohyoïdopexie (CHP), ou la
laryngectomie frontale antérieure reconstructive [5].
La chirurgie ganglionnaire cervicale est bien systématisée et
les aires de drainage sont sectorisées [6]. Les techniques de curages ganglionnaires cervicaux ont évolué, elles sont de plus en plus conservatrices, comme le curage dit fonctionnel qui respecte la veine jugulaire interne, le nerf spinal et le muscle sternocleidomastoïdien, mais aussi les branches de division de la carotide externe, le réseau veineux jugulaire externe, et
les rameaux sensitifs profonds du plexus cervical. L’amélioration des techniques d’imagerie autorise la réalisation de curages sélectifs de secteurs ganglionnaires précis, et la lymphoscintigraphie et détection du ganglion sentinelle pour certaines localisations tumorales de la cavité buccale (T1 et T2 N0) est encore en cours d’évaluation. Le curage dit traditionnel reste réservé aux ganglions en rupture capsulaire ou à une masse
interstitielle cervicale.
Des progrès majeurs dans la chirurgie réparatrice de la face et du cou ont été réalisés cette dernière décennie[7]. Elle répond à des impératifs ambitieux qui sont une chirurgie la plus carcinologique possible, la diminution des complications postopératoires et de la morbidité afin de faciliter la réinsertion socioprofessionnelle et de rétablir une qualité de vie optimale.
Les techniques de réparation font appel à des procédés classiques comme les sutures simples, les greffes cutanées et les lambeaux cutanés ou myocutanés locorégionaux pédiculés
(muscles grand pectoral, grand dorsal, etc.). L’avènement des lambeaux pédiculés puis libres prélevés à distance et microanastomosés, simples ou composites, autorise l’augmentation
des marges de sécurité d’exérèse par la possibilité de grandes surfaces disponibles et le comblement de volumes importants (cancers infiltrants). Ces lambeaux autorisent le sacrifice et la réparation de structures complexes comme la réparation d’une interruption mandibulaire (transplant osseux de fibula [péroné], parascapulaire, etc.), la reconstruction d’un voile du
palais (lambeau antébrachial libre) ou d’une voûte palatine, des sillons vestibulaires ou pelvilinguaux. Les lambeaux vont permettre aussi le rétablissement de la continuité pharyngo oesophagienne après pharyngolaryngectomie circulaire (lambeau antébrachial microanastomosé, etc.) ou de fermer un orostome ou un pharyngostome chirurgical et protéger ainsi un axe carotidien en prévenant fistule et
sepsis cervical particulièrement en situation post-radique. Ceci implique une fiabilité optimale du lambeau et une morbidité minimale du prélèvement. 
En parallèle avec l’objectif carcinologique, la réinsertion socioprofessionnelle grâce à une restauration de la qualité de vie doit être prise en compte d’emblée. Il s’agit de limiter les
séquelles fonctionnelles par la préservation ou le rétablissement des fonctions de mastication, de déglutition, d’élocution et d’ouverture buccale, mais aussi de diminuer la rançon
esthétique à la fois cervicofaciale et au niveau du site de prélèvement du lambeau. C’est donc savoir utiliser des techniques fiables pour conserver la mobilité linguale et l’indépendance
des structures anatomiques (vestibules, plancher de la bouche), restaurer la continuité mandibulaire ou préserver la fonction vélopharyngée, ou bien encore restaurer la sangle labiomentonnière ou préparer et faciliter une réhabilitation dentaire ultérieure. Pour cela, il faut disposer d’un large choix de moyens de reconstruction adaptés à chaque type d’exérèse
et d’une fiabilité maximale. Toutes ces techniques vont trouver une place de choix dans la
réparation des tissus radionécrotiques ; il s’agit d’une chirurgie délicate et difficile, comme celle de la prise en charge d’un pharyngostome post-radique évolué ou d’une ostéoradionécrose
mandibulaire. Enfin, la réhabilitation du laryngectomisé permet actuellement d’obtenir des résultats particulièrement gratifiants grâce à la mise en place d’une prothèse phonatoire dans le même temps que celui de la laryngectomie, l’utilisation précoce de filtres de trachéostome puis d’une valve phonatoire “mains libres” qui permet une vocalisation quasi naturelle grâce à une rééducation orthophonique ciblée.
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Situation actuelle et objectifs

Les cancers ORL ou des voies aérodigestives supérieures(VADS) regroupent les tumeurs solides de la cavité buccale,
du pharynx et du larynx.
Ils sont fréquents en Europe et particulièrement en France où leur incidence annuelle, la plus élevée après la Hongrie, constitue le cinquième cancer le plus fréquent, après les cancers du sein, du côlon et du rectum, de la prostate et du poumon. En France, cette incidence a été estimée en 2000 aux alentours de 20 000 nouveaux cas chez l’homme (4e rang par ordre de fréquence) et 3 000 nouveaux cas chez la femme (14e rang par ordre de fréquence). La mortalité chez l’homme, après un pic de fréquence à 39 pour 100 000 en 1976, a été divisée par 2 à ce jour, soit un retour au taux de 1950. Chez la femme si la mortalité est bien moindre, en revanche, elle a doublé depuis 1950, pour être à ce jour aux alentours de 8 pour 100 000. La mortalité des carcinomes des VADS est très inégale selon les régions françaises, dans les départements du Nord Pas-de-Calais, elle approche du double de celle des départements du Sud-Ouest [1].
En France, 90 % des décès par cancer des VADS chez l’homme sont attribuables au tabac et/ou à l’alcool [1]. Il existe une corrélation entre l’âge du début de l’exposition, la dose journalière,
la durée de l’exposition et le risque carcinologique. La mortalité par cancers des VADS est 7 fois plus élevée chez les fumeurs de cigarettes que chez les non-fumeurs et reste 3 fois plus élevée chez les ex-fumeurs que chez les non-fumeurs. Le rôle du cannabis comme carcinogène est établi [2], en particulier dans l’incidence des cancers de la langue chez des sujets
de moins de 40 ans. En ce qui concerne l’alcool, le risque est proportionnel à la dose d’alcool pur consommé, sans effet de seuil. L’association alcool-tabac “surmultiplie” le risque relatif
de cancer des VADS : un sujet qui fume 25 cigarettes et boit 10 verres de vin (environ 100 g d’alcool pur) par jour voit son risque relatif multiplié par 100. D’autres facteurs de risque comme le bétel et les nitrosamines carcinogènes pour le cancer de la cavité buccale, le virus EBV
(Epstein-Barr Virus) pour les carcinomes indifférenciés du nasopharynx (UCNT), certains papillomavirus pour l’oropharynx ou le larynx (HPV 16 et 18), l’exposition aux hydrocarbures polycycliques pour la cavité buccale et le larynx, l’amiante pour le carcinome du larynx, les poussières de bois pour l’adénocarcinome de l’ethmoïde sont connus.L’immunodépression induite par certains traitements post-greffes ou acquise comme pour le sida prédispose à la survenue d’un cancer des VADS.
La meilleure prévention des cancers ORL passe par une réduction effective et durable de la polyconsommation régulière du tabac et de l’alcool. Des actions éducatives régionales précoces sont à la base de toute politique de prévention. Le particularisme de ces tumeurs rend compte de l’histoire naturelle de ces cancers qui touchent le plus souvent l’homme
de 50 à 70 ans.
En effet, dans leur grande majorité ce sont des carcinomes épidermoïdes plus ou moins différenciés (90 % des cas). Ces tumeurs siègent dans une région anatomique complexe, aux nombreuses localisations et sous-localisations, dont la lymphophilie est importante (15 à 50 % d’atteinte ganglionnaire selon le site tumoral pour les cous “N0”) [3]. Ces particularités compliquent à la fois le bilan préthérapeutique et le  traitement (abord chirurgical, procédé de réparation, balistique des radiations ionisantes à hautes doses, etc.).
En France, la distribution de ces tumeurs selon la localisation est approximativement la suivante : cavités nasosinusiennes et nasopharynx 5 %, lèvres 10 %, cavité buccale 20 %, oropharynx 25 %, larynx 25 %, hypopharynx 15 %.
Le diagnostic est fait le plus souvent à un stade tardif chez des patients souvent négligents car l’évolution est essentiellement locorégionale cervicofaciale, et c’est à un stade déjà avancé
que le syndrome de masse endocavitaire et/ou cervical va entraîner un retentissement fonctionnel sur les fonctions de déglutition et de respiration. Une adénopathie cervicale indolore
d’apparence isolée est souvent longtemps négligée par le patient. Le larynx constitue une e ception par la dysphonie présente dès le début de la maladie pour les tumeurs de la corde vocale. 
Par ailleurs, on note la grande fréquence des localisations multiples synchrones ou métachrones (10 à 20 %), le risque évolutif important de récidive locorégionale et un taux de métastases à distance (poumons, foie, os, système nerveux central)de 5 à 15 %. Les comorbidités associées sont fréquentes (plus de 50 % des cas lors de la première consultation), notamment cardiorespiratoires, hépatiques, vasculaires et les carences nutritionnelles multiples.
Enfin le caractère algique et mutilant de ces tumeurs malignes
qui vont devenir “visibles” aggrave le handicap et augmente
encore les difficultés thérapeutiques, compliquées de plus par un contexte socioprofessionnel souvent difficile.


Les objectifs thérapeutiques reposent d’une part sur la prévention primaire avec la diminution des facteurs de risque principaux que sont le tabac et l’alcool, la prévention secondaire par le dépistage théorique des sujets les plus à risque (tabac alcool, lésions précancéreuses, etc.) et d’autre part sur la stratégie thérapeutique adaptée de la maladie avérée (cas le plus
fréquent).
Le bilan préthérapeutique représente le point de départ dans l’histoire de la maladie d’un patient, il va conditionner sa guérison ou son évolution, il se doit d’être précis et exhaustif. Le bilan locorégional nécessite une pan-endoscopie ORL sous anesthésie générale,
associée si possible à une fibroscopie bronchique et oesogastrique, à la recherche d’une seconde localisation (10 à 20 % des cas) ou d’une fréquente maladie associée (infection bronchique, oesophagite, ulcère gastroduodénal, etc.). Des biopsies sont effectuées à visée histodiagnostique et un schéma résume l’examen endoscopique. Le bilan est complété par une imagerie médicale orientée, tête et cou (TDM : tomodensitométrie, IRM : imagerie
par résonance magnétique, échographie) et à distance (TDM thoracomédiastinale, TEP : tomographie par émission de positons). L’état dentaire est apprécié (panorex, consultation spécialisée). Le bilan préthérapeutique aboutit à une classification TNM qui
est un facteur pronostique majeur et la clef de voûte des indications thérapeutiques.
Par ailleurs, un bilan général clinique et biologique selon le terrain évalue non seulement l’opérabilité mais aussi les suites fonctionnelles prévisibles (EFR : épreuves fonctionnelles respiratoires, bilan cardiologique, vasculaire, etc.). On précise ainsi l’état général et nutritionnel du malade, l’impact des comorbidités associées en utilisant des scores pour aboutir à des échelles de classification pertinentes comme l’index de Karnovski, le Performans Status de l’OMS ou le score ASA. L’âge chronologique  du malade n’est pas un facteur limitant, c’est plutôt l’âge physiologique qui sera apprécié.
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les grands principes thérapeutiques

■ Key points
Upper aerodigestive tract carcinoma: 
therapeutic managementCancers of the upper aerodigestive tract cover the solid tumors of
the oral cavity, pharynx and larynx.The principal risk factors identified are smoking and alcohol.
Moreover, the combination of alcohol and smoking increases the relative risk by more than simple multiplication.The pretreatment work-up represents the starting point in the natural history of the patient’s disease and conditions recovery and time course; it must be both specific and exhaustive. It leads to a TNM classification or staging that is a major prognostic factor and essential to determination of the appropriate therapy. 
Patients with cancer of the upper aerodigestive tract must receive cooperative multidisciplinary treatment.Conservative treatment strategies must be favored. Treatment is essentially surgical and radiological. Prognosis for survival is poor. For all stages and sites together,
5-year survival remains between 30 and 40%.


■ Points essentiels
Les cancers ORL ou des voies aérodigestives supérieures regroupent
les tumeurs solides de la cavité buccale, du pharynx et du larynx.
Les principaux facteurs de risques identifiés sont le tabac et l’alcool.
De plus, l’association alcool-tabac “surmultiplie” le risque relatif.
Le bilan préthérapeutique représente le point de départ dans l’histoire de la maladie d’un patient, il va conditionner sa guérison ou son évolution, il se doit d’être précis et exhaustif. Il aboutit à une classification TNM qui est un facteur pronostique majeur et la clef de voûte des indications thérapeutiques.
La prise en charge des patients atteints de cancers ORL doit faire
l’objet d’une concertation thérapeutique pluridisciplinaire.
Les stratégies thérapeutiques conservatrices doivent être privilégiées.
Le traitement est essentiellement radiochirurgical.
Le pronostic de survie est mauvais. Pour tous stades et localisations confondus, la survie reste en moyenne entre 30 et 40 % à 5 ans.
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