L’analyse des résultats traduit le retard qui a été pris en ce qui concerne l’analyse des facteurs de risque des cancers des VADS ; ils soulignent la nécessité de combler ce retard par le biais d’études incluant un grand nombre de patients, de façon prospective, en ayant recours à des analyses statistiques approfondies multivariées et ce, dans le but de faire ressortir l’impact de chacun des toxiques sur l’incidence des cancers des VADS. Cela suppose une prise de conscience de la part de l’ensemble des médecins qui prennent en charge ce type de cancer, en particulier les spécialistes d’organes que sont les otorhinolaryngologistes et les chirurgiens maxillofaciaux, de la nécessité de rechercher par l’interrogatoire d’autres facteurs de risque que le tabac et l’alcool.
Ceci suppose également une collaboration entre ces spécialistes d’organes mais également les médecins généralistes, les épidémiologistes, les nutritionnistes et les médecins du travail.
À l’heure actuelle, ce type de collaboration n’est pas optimal, du moins en France. Or il est impératif de colliger un maximum de données sur les facteurs de risques potentiels, tout particulièrement chez les patients non alcoolotabagiques qui semblent représenter une part de plus en plus importante des patients traités, au delà des 5 % rapportés habituellement dans la littérature [24,38]. Malheureusement nous ne disposons pas de chiffres précis et récents concernant le pourcentage exact que représente ce groupe de patients, que ce soit en France ou dans les autres pays. Il est d’ailleurs fort probable que les facteurs environnementaux (nutrition, expositions professionnelles) et les facteurs viraux ont été largement sous-estimés
jusqu’à présent, pouvant expliquer en partie l’augmentation
des cancers des VADS chez cette catégorie d’individus. En
France, les registres du cancer regroupés dans le réseau Francim ont sans nul doute un rôle essentiel à jouer dans la
coordination des différents intervenants que nous venons de
citer et dans la centralisation des données épidémiologiques.
En identifiant de nouveaux facteurs de risques potentiels, il sera alors possible d’agir en prévention primaire et de contribuer à faire diminuer la fréquence et la mortalité par cancer des VADS.
Les campagnes d’information et de lutte contre l’alcoolisme et le tabagisme en France illustrent parfaitement l’impact possible sur la prévention primaire de ce type de cancer.
La consommation d’alcool diminue régulièrement en France
depuis les années 1950. Cette consommation continue de
diminuer ; ainsi, avec 3,4 L d’alcool pur par habitant consommés en 2005, elle ne représente qu’1/3 de la consommation de 2003 estimée à 9,3 L d’alcool pur [36]. Une telle réduction de la consommation en un espace de temps aussi court demande à être vérifiée. En effet, plusieurs points doivent rendre prudente l’analyse des données recueillies lors de l’enquête téléphonique menée en 2005 :
- les personnes interroge´ es ont tendance a` sous-estimer leur consommation re´ elle ;
- les chiffres obtenus en 2003 l’ont e´ te´ a` partir des quantite´ s de´ clare´ es d’alcool vendu en France et non a` partir d’une enqueˆ te te´ le´ phonique.
Toutefois on peut y voir le résultat des campagnes de prévention que ce soit à la télévision, dans la presse écrite (médicale ou non), dans les campagnes d’affichages depuis le milieu des années 1990. Cette diminution de la consommation a eu un effet bénéfique sur la mortalité masculine par cancer de la cavité buccale, du pharynx et du larynx (figure 2). Les comportements se sont également modifiés avec un renforcement de la notion de plaisir associé à la consommation d’alcool. Ainsi, la consommation moyenne annuelle double entre les tranches d’âge 20–25 ans et 65–75 ans ; s’ils sont relativement peu nombreux à consommer de l’alcool quotidiennement, les jeunes ont plus fréquemment des comportements d’ivresse que leurs aînés avec au moins 48,3 % des hommes et 20 % des femmes de 20 à 25 ans buveurs avouant avoir eu au moins une ivresse au cours des 12 derniers mois [36]. L’impact de cette alcoolisation massive et sévère, rencontrée principalement le week-end, est encore mal défini d’une façon générale et encore moins pour les cancers des VADS.
Figure 2
Évolution de la mortalité par cancer des VADS en France depuis
1950 (d’après Hill [39])
La mortalité observée en 1995 (figure 2) est la conséquence
d’habitudes prises 20 à 50 ans auparavant. Nous sommes donc en train d’observer la fin des conséquences des comportements des années 1940 et le début de celles des comportements des années 1970. Ainsi pour le tabac, la consommation ayant augmenté jusqu’en 1975 (figure 3), le nombre de cancers de la cavité buccale du pharynx et du larynx va continuer à
Figure 3
Évolution des ventes et du prix de tabac en France (d’après Hill
[39]). Sources : Dominique Dubeaux, Insee, pour le prix et
Monique Padioleau, Seita, pour les ventes. Les prix sont relatifs,
base 100 en 1970, le tabac est exprimé en grammes par adulte et
par jour
augmenter au moins jusqu’en 2020. L’augmentation sera particulièrement importante chez les femmes qui fumaient encore très peu à la fin des années 1980, à l’exception des femmes jeunes [38]. Ceci explique que l’augmentation des cancers liés au tabac, qu’ils soient pulmonaires ou des VADS, a à peine débuté en France dans la population féminine. Comme le démontre très bien la figure 3, la consommation de tabac, en particulier des cigarettes, est inversement proportionnelle au prix. Il est probable que les très fortes hausses de prix constatées depuis le début les années 2000 ont et auront des conséquences en termes de consommation, même si nous ne disposons pas encore de chiffres précis à ce sujet. Si cette tendance se poursuit, l’impact sur la mortalité par cancer des VADS sera différé dans le temps.