Tabac - Facteurs de risque des cancers

Le tabac peut être fumé, prisé ou chiqué. En France, le tabac prisé et à chiquer est d’utilisation très marginale et représente moins de 0,4 % du tabac consommé [7]. Le tabac à chiquer est beaucoup moins toxique, mais il peut donner lieu à des cancers des lèvres ou de la face interne des joues, car il peut être mélangé à d’autres toxiques que sont la chaux, les feuilles de bétel, et les noix d’Arèque ; ce type de consommation est très répandu en Inde, à Taiwan et dans de nombreux pays d’Asie du Sud-Est, mais également dans les populations migrantes issues de ces régions géographiques [8]. L’utilisation du tabac sous cette forme est tenue responsable d’une très forte augmentation de l’incidence dans ces pays, de la fibrose sous-muqueuse de la cavité buccale, en particulier chez les sujets jeunes et indépendamment de la durée de consommation. Il s’agit d’une lésion prénéoplasique qui est irréversible et sans traitement connu. Le pourcentage de dégénérescence en carcinome malpighien est particulièrement élevé.
Cependant, même utilisé seul, le tabac chiqué est toxique. C’est ainsi que Schantz et Guo-Pei [9] ont attribué l’accroissement des cancers de la langue chez les jeunes adultes aux États-Unis à la forte augmentation de tabac à chiquer, confirmant le rapport de l’International Agency for Research on Cancer (IARC) de 1985 [10].
Aucune donnée épidémiologique concernant le tabac à priser
n’était disponible dans la littérature.
En France, c’est en 1954 qu’une première étude rétrospective de 4000 malades atteints de cancers des VADS et un nombre égal de sujets témoins non fumeurs a permis d’établir une différence significative entre les 2 groupes, et donc d’imputer le tabac comme facteur de risque [7]. Vingt ans plus tard en Grande-Bretagne, Doll et Peto démontraient que le risque de mortalité par cancer des VADS chez les fumeurs par rapport aux non-fumeurs était augmenté de 2 à 12 en fonction de la localisation, à l’exception des cancers des cavités rhinosinusiennes et du cavum [11] (grade C). La corrélation entre lerisque accru de cancer chez les fumeurs et le siège du cancer est probablement liée aux modalités du passage de la fumée de tabac au contact des structures anatomiques, le contact se faisant successivement avec les lèvres, la cavité buccale, l’oropharynx, l’hypopharynx et le larynx. Szekely et al. [12] ont montré que la sensibilité de la muqueuse au tabac et à l’alcool, et donc le risque de développer un cancer, était décroissante de la cavité buccale vers le larynx, avec un risque maximal au niveau buccopharyngé, probablement par un contact plus étroit
et prolongé de la muqueuse avec les agents toxiques.
La consommation de cigarettes est la plus répandue, loin
devant celle du cigare et de la pipe. Une cigarette se compose de 1 g de tabac, enrobé de papier qui est fait de chanvre, de lin et autres ingrédients pour améliorer sa combustibilité. La fumée de cigarette résulte de la combustion incomplète du tabac. Elle contient 5 milliards de particules/mL ; ces particules proviennent de la zone de combustion et sont générées par 3
réactions qui se produisent simultanément :
- une pyrolyse qui de´ compose le tabac en petites mole´ cules ;
- une pyrosynthe` se avec production de nouveaux composants ;
- une distillation de certains composants du tabac. L’intensite´ de ces re´ actions est directement lie´e a` la tempe´ rature de combustion.
Physiopathologiquement, au sein de ces particules, 4 groupes de substances sont distingués :
- la nicotine ;
- le monoxyde de carbone (CO) ;
- les irritants (phe´ nols, alde´ hydes, acrole´ ı¨ne) ;
- les substances cance´ rige` nes regroupe´ es en sous-classes dont les 3 plus importantes sont les nitrosamines spe´ cifiques du tabac, les arylamines et les hydrocarbures aromatiques polycycliques dont le plus connu est le 3,4-benzo(a)pyre` ne (3,4-BaP). Les substances cancérigènes sont, pour une partie d’entre elles,
dissoutes dans la salive. Il s’agit en fait, pour la plupart, de procarcinogènes inactifs rendus actifs grâce aux cytochromes P450 1A1 [13]. C’est ainsi que le 3,4-BaP est transformé en un carcinogène actif : le benzo (a) pyrène-diol-époxide. Des travaux ont montré que le benzo (a) pyrène-diol-époxide agissait directement sur l’ADN (acide désoxyribonucléique), plus précisément au niveau des exons 4, 5, 6, 7 et 8 du gène TP53 [14,15], gène clé dans la carcinogenèse des cancers des VADS [16]. Il existe d’autres sous-classes de produit regroupant plus de 50 substances cancérigènes [17]. Nous notons que le CO et la nicotine ne sont pas classés parmi les substances cancérigènes. Toutefois, concernant la nicotine, une étude faite in vitro sur des lignées cellulaires de cancers des VADS a montré qu’elle pourrait être impliquée dans l’altération du mécanisme d’apoptose [18]. Ce travail n’a jamais été confirmé par d’autres études. Le risque de cancer croît avec l’intensité et l’ancienneté du tabagisme, avec une relation « dose-effet ». Le seuil critique se situerait à 20 paquets-années, ce qui correspond à une consommation d’un paquet de cigarettes par jour pendant 20 ans. Outre la consommation et l’ancienneté du tabagisme, d’autres facteurs entrent en jeu :
- l’inhalation de la fume´ e, qui augmente le risque [19] ;
- la longueur du me´ got, car c’est dans le me´ got re´ duit que s’accumule le plus de substances toxiques ;
- le filtre dont le roˆ le reste controverse´ , diminuant le risque pour certains auteurs, ne changeant rien pour d’autres [19] ;
- le type de tabac, le tabac brun e´ tant plus toxique [20].
La cigarette est plus toxique que le cigare car celui-ci ne
comporte pas de papier, ce qui engendre une température
de combustion moins élevée et donc une production de particules moins importante ; il en est de même pour la pipe [19]. Le tabagisme passif a été mis en cause dès le début des années 1980, le risque cancérigène pour un conjoint non fumeur étant de 3 par rapport à un sujet témoin non exposé [7]. La poursuite de l’intoxication tabagique après guérison d’un premier cancer facilite l’apparition d’un second cancer des VADS. Dès le début des années 1980, Silvermann et al. avaient montré que la fréquence d’apparition d’un second cancer était de 18 % chez le sujet ayant arrêté de fumer et de 30 % en cas de poursuite de l’intoxication tabagique [21] (grade C). 1232  On parle de facteurs de risque génétique lorsqu’un individu est génétiquement prédisposé à la maladie cancéreuse ou plus susceptible de développer un cancer après exposition à un agent cancérigène. Pendant très longtemps, la notion de facteurs de risque génétiques et cancers des VADS était un sujet polémique. Plusieurs études ont suggéré l’existence d’une « susceptibilité » individuelle aux carcinomes des VADS [22]. La notion de sujets « prédisposés » à développer un carcinome des VADS repose, entre autres, sur le rapport des CDC (US Centers for Disease Control) stipulant que sur les 46 millions de
fumeurs américains, seulement 40 000 à 50 000 développaient chaque année un carcinome des VADS, soit moins d’un sujet fumeur sur 1000 [23].
Le métabolisme des carcinogènes du tabac et les systèmes de réparation des lésions de l’ADN sont 2 mécanismes dont on connaît des différences d’activité d’origine héréditaire, pouvant, au moins partiellement expliquer une variabilité de
sensibilité des individus aux méfaits du tabac. Néanmoins la notion de cancers des VADS familiaux n’est actuellement pas admise.